Gabriel Montoya

Le Roman Comique du Chat Noir

Publié par Good Press, 2022
goodpress@okpublishing.info
EAN 4064066080136

Table des matières


PRÉFACE
LE ROMAN COMIQUE DU CHAT NOIR
Paris, le 5 janvier 1897.
D. BONNAUD
Jules MOY Membre de plusieurs sociétés savantes et secrètes.
G. OBLE
MULDER
Jules GONDOIN
MILO DE MEYER
Gabriel MONTOYA
Troyes, le 16 janvier 1897.
Chalon-sur-Saône.
Roanne 18...
Dijon.
Lyon.
Lyon.
Avignon.
Tarascon.
Marseille,
Marseille.
Monte-Carlo, 2 février.
Monte-Carlo, 3 février.
4 février,
Monte-Carlo, 5 février.
Monte-Carlo.
Monte-Carlo, 9 février.
Monte-Carlo.
Nîmes.
Toulouse.
Toulouse.
Toulouse le
M. Laurent TAILHADE.
Tarbes.
Agen.
Périgueux.
Châteauroux.
Bourges.
Paris.
Paris, 9 mars.
10 mars.
Versailles.
Versailles.
Châteaudun, 12 mars.
Angers, 14 mars 1897.
Angers.
Angers.
Angers.
Rennes, 17 mars.
Paris, le 18.
Paris, 19 mars.
Naintré, 20 Mars.
Paris, le 23 mars.
RODOLPHE SALIS

PRÉFACE

Table des matières

Au cours des quatre ou cinq dernières représentations que le Chat Noir, ayant à sa tête le très verveux mais déjà très fatigué Rodolphe Salis, donna pour ses adieux à Montmartre, j'eus le plaisir de rencontrer mon cher confrère Edouard Conte, l'auteur apprécié des Mal Vus.—Après m'avoir dit quel vide allait creuser la disparition du moyen-ageux hostel de la rue Victor Massé, il m'entretint de la tournée annoncée par la presse entière et qui, déjà préparée pour une durée de trois mois dans le midi de la France, dans le Sud-Ouest et la Bretagne, devait être continuée à l'étranger, notamment en Autriche et en Russie. «Si les nécessités de la copie ne me tenaient pas à Paris comme un forçat à sa chaîne, me dit-il, je voudrais vous accompagner et j'ai la certitude que je ne perdrais pas mon temps. La tournée que vous allez entreprendre n'est pas comme celles que tous les jours des industriels du théâtre organisent en province avec deux ou trois bons mélodrames de l'Ambigu coupés dans le goût du public et susceptibles, de par leur structure incolore, d'être acclamés à Pezenas comme dans le quartier du Temple.

«Ce que vous apporterez aux spectateurs dont je ne mets pas en doute l'empressement à vous venir entendre, c'est l'expression évoluée d'un état d'esprit qui serait presque, si j'ose dire, anti-théâtral. Les pièces d'ombres qui constituent votre principal répertoire et qui soulevèrent par le talent qu'on y déploya un enthousiasme encore vivant, sont comme un défi jeté au théâtre à personnages. Il sera intéressant de voir comment les divers publics auxquels vous les allez soumettre apprécieront l'effort et jugeront le résultat.

«Pour vos chansons, le doute est plus permis encore: Vous y désertez, du moins dans les meilleures, les seules qui valent qu'on en parle, le style ordurier et commun du beuglant; leur succès que je souhaite de tout cœur équivaut à la banqueroute du Café-Concert et je m'en réjouis d'avance.

«Or, je n'ai rien dit encore des menus incidents qui ne sauront manquer de surgir au cours de votre artistique balade. La présence de Salis, cet enfant terrible, ce rapin verveux qui a recueilli l'héritage de blague et de fantaisie laissé par Sapek, m'est un sûr garant qu'il y aura pour vos rates de chansonniers impénitents des heures de gaîté folle et d'ahurissants propos. Ne croyez-vous pas en toute sincérité qu'un fantaisiste pourrait prendre en même temps qu'un vif plaisir, quelque intérêt à noter au jour le jour, simplement et sans emphase, les péripéties du voyage et les bons mots entendus ou commis.

«—Certainement je le crois, mon cher Conte, et soyez assuré que votre idée sera mise à profit. J'ai d'ailleurs, en un coin éloigné de province, une cousine qui fut mon amie d'enfance et qui m'avait, au cours d'une précédente tournée, demandé comme faveur spéciale un récit détaillé de nos faits et gestes. En paresseux que j'ai toujours été, je me suis dérobé jusqu'ici à l'accomplissement de ce devoir épistolaire. Je vais tenter cette fois de détrôner de mon cœur la chimère oisiveté, et, dame, s'il me semble après un temps qu'un intérêt quelconque puisse résider en ces notes éparses, j'en serai quitte pour prier ma dévouée cousine de me restituer mes proses.

«—Et vous serez tout heureux de leur trouver en les lisant un air de nouveauté qui vous surprendra vous-même.

«—Et d'avoir fait un volume.

«—Vous l'avez dit.»

Voilà comment se trouva projeté le volume qu'on va lire. La mort prématurée de Rodolphe Salis, en interrompant le voyage à travers la France de la Compagnie du Chat Noir me fournit une conclusion à laquelle j'étais loin de m'attendre lorsque j'écrivais mes premiers feuillets.

Peut-être même sans cet événement ne me fussè-je pas décidé à publier ces notes glanées au jour le jour avec un soin très relatif et un insouci parfait des livresques traditions. Le hasard et l'actualité toute puissante donnent à ces feuilles éparses l'intérêt d'un document. Je n'ai donc pas le droit de dérober au public ce Livre d'Or du Chat Noir pendant les trois derniers mois de la vie de son fondateur, et je le dédie en hommage respectueux à Mme Rodolphe Salis.

Gabriel Montoya.

LE
ROMAN COMIQUE DU CHAT NOIR

Paris, le 5 janvier 1897.

Table des matières

C'est décidé, cousine, nous partons dans huit jours pour la tournée dont le projet si longtemps caressé va voir enfin sa réalisation. C'est la première fois que le Chat Noir quitte Montmartre en pleine saison d'hiver. Tous les cabarets de la butte vont se réjouir et nous sommes loin de pleurer; car si, dans notre itinéraire, figurent quelques étapes où ni le froid ni les rafales de neige et de vent ne nous seront épargnés, du moins apercevons-nous de loin par le petit bout de la lorgnette l'oasis exquise, le paradis vers lequel s'acheminent par ces temps rigoureux tous les gros bonnets de la capitale; j'ai désigné le petit coin de terre qui a nom Monaco.

Salis, il en faut tout au moins convenir, a fait royalement les choses avant de quitter son local de la rue Victor-Massé. Quinze jours à peine avant son départ, il a organisé dans son théâtre, avec quels frais, lui seul le sait, un spectacle d'ombres absolument renouvelé. Une fois de plus, Henri Rivière, l'admirable évocateur, a pu donner libre carrière à son prestigieux talent de coloriste visionnaire, et c'est pour dix représentations tout au plus, avec la certitude absolue de ne jamais couvrir les sommes dépensées, que les «Clairs de Lune» ont vu le jour.

Sans vouloir infirmer en aucune façon le talent de Georges Fragerolles, à la fois poète et compositeur de l'œuvre que je viens de vous citer, il est bien évident que les Clairs de Lune sont uniquement un prétexte à belle peinture, à tableaux invraisemblables à force de vérité. Le titre de pièce d'ombres, qui, jusqu'à présent, se pouvait appliquer à presque toutes les manifestations de l'art théâtral chatnoiresque, demeure insuffisant pour cette création dernière, comme d'ailleurs pour Héro et Léandre pour Ailleurs et pour Sainte-Geneviève. Par un labeur obstiné de dix ans, Rivière est parvenu, en perfectionnant ses moyens, à inaugurer une note d'art qui demeure son exclusive et inaliénable propriété. Chacun des effets si curieux dont l'œil s'émerveille et qui, dans Clairs de Lune, se suivent d'un tableau à l'autre, sans solution de continuité, repose sur une découverte de l'auteur et je ne crois pas que Rivière ait à redouter sur ce terrain la concurrence ou l'imitation.

Aussi n'est-ce pas sans quelques regrets que nous songeons, et quand je dis nous, j'entends tous ceux que séduisit cet art si pittoresque, à la disparition prochaine de cet exigu sanctuaire d'Art, le Chat Noir actuel. Je sais bien que les raisons auxquelles Salis se voit forcé de céder sont d'ordre purement matériel, que sa fin de bail en avril prochain lui conseille de s'y prendre avec quelque avance pour déménager et que son intention est de reconstituer un nouveau théâtre dès son retour des voyages européens. Mais qui peut se porter garant de l'avenir.

Donc nous partons, cousine, et tout d'abord pour une durée de deux mois. Des négociations sont entamées pour les mois qui suivront et de sérieux pourparlers engagés avec des impresarii pour l'Italie, l'Allemagne et l'Autriche. Salis, qui ne doute de rien, ne désespère pas de pouvoir pousser à Berlin, peut-être même en le propre palais du Kaiser son cri célèbre de: Vive l'empereur! et pour ce barnum extraordinaire cet exploit se chiffre par tout un pactole croulant dans sa caisse au retour en France, comme pour le remercier de sa patriotique bravade.

Malheureusement, la volonté seule chez lui demeure inébranlable et vivace. Le corps est quelque peu ruiné et je me demande si les fatigues qui ne sauraient manquer de suivre toutes ces pérégrinations permettront à notre directeur de les prolonger au gré de son rêve et de ses désirs audacieux.

Si nous exceptons la Principauté de Monaco, la ville de Nice et un nombre très restreint de cités sans importance figurant sur notre parcours, le Chat Noir s'est fait entendre au moins une fois dans tous les centres notables qu'il va parcourir à nouveau. Mais ce n'est pas une raison, bien au contraire, pour négliger d'y répandre à l'avance le bruit de notre venue par mille échos alléchants et d'une tenue tout au moins un peu fantaisiste. Aussi le bon vouloir de tous les humoristes qui fréquentent la rue Victor-Massé se trouve déjà mis à l'épreuve, et tant en vers qu'en prose, chacun contribue à la rédaction de notes et notules, que nous ferons parvenir tout imprimés aux importantes feuilles de province.

Puisque je vous ai promis, cousine, de vous tenir au courant de nos faits et gestes durant les tournées qui vont suivre, laissez-moi vous adresser tout d'abord une de ces notes qui ressemble furieusement à un boniment de Salis hâtivement rimé. Malgré le macaronisme voulu de sa rédaction elle ne laisse pas que d'être amusante et je crois qu'on y découvrirait, en l'examinant d'un peu près, la griffe sympathique de ce délicieux caricaturiste poète, Jules Depaquit, lequel n'est pas tout à fait étranger au succès du journal Le Rire!

LE CHAT NOIR VIENT

Province, de Paris noble et vaste banlieue,

Ils ont fait pour te voir et kilomètre et lieue

Dans les sombres wagons des durs chemins de fer.

Récompense-les en, parce qu'ils ont souffert

Des cahots incessants de la locomotive

Que toujours, d'un bras fort, le fier chauffeur active.

Voici les chansonniers, les Ombres, le Chat Noir

Honoré des Princes et des Dieux. Que ce soir

Le travailleur lassé des labeurs infertiles,

Et l'oisif délaissant ses passe temps futiles

Viennent se retremper aux rythmes des chansons

Que versent, de Salis, les nombreux échansons.

Voici venir Salis et sa noble cohorte.

La joyeuse chanson n'est pas encore morte.

Peuple, sache cela, car sous tes yeux charmés,

Les âges révolus, les siècles périmés,

Le Sphinx mystérieux, seul dans la nuit sans voile,

Les Rois mages suivant la symbolique étoile,

Antoine et Cléopâtre et tous les grands amants

Qui, depuis le Déluge, échangent des serments,

Et d'autres Œuvres dont légion est le nombre

Et que Rivière qui tira l'Ombre de l'ombre

Peignit et dessina si magistralement,

La Mer, les Bois, les Caps, les Monts, le Firmament,

Vont bientôt, évoqués par Georges Fragerolle

Sur un air d'élégie ou bien de barcarolle,

Défiler lentement et solennellement.

Et puis c'est Montoya, le Poète charmant

Qui va te moduler sur un air bel et tendre

Que jamais on ne peut se fatiguer d'entendre

La volupté de vivre et le miel du baiser

Et tant d'autres, experts en l'art de nous griser,

Gondoin tombant Félisque avec son Protocole,

Ce Félix qu'on devrait renvoyer à l'école

Apprendre le respect des Muses et de l'Art,

Si véritablement il n'était un peu tard,

Oble dont la voix est plus tendre que la brise

Et qu'un public d'élite à juste titre prise.

Expert en l'art subtil d'émouvoir, de charmer,

De rendre court le temps qui vient nous consumer,

Milot qui nous célèbre en un rythme sonore

Les vertus des aïeux dont la France s'honore,

Nobles vertus d'Hier dont demain est sevré

Et dont Aujourd'hui n'est qu'un souvenir. C'est vrai!

Clément Georges, Bonnaud, tour à tour ironiques,

Abondants, gracieux, langoureux, sataniques,

Des genres les plus fous des tons les plus divers,

Mais tous égaux en grâce en le bel Art des Vers.

La joyeuse chanson n'est pas encore morte.

Voici venir Salis et sa noble cohorte!

Pour faire suite à cette annonce pleine d'alléchantes promesses, un programme a été rédigé, lequel renferme, après une parade de quelques lignes, l'énumération complète de tout le répertoire d'ombres, imposant par le nombre autant que par la qualité, dont nous réservons aux provinces l'extraordinaire déballage. Voici d'abord les pièces de moindre importance dont le commentaire est confié à l'heureuse initiative et à l'inépuisable faconde de Rodolphe Salis lui-même: Le Déluge, pièce antidiluvienne de M. le Préfet; L'Age d'or, poème en un acte de A. Willette; Pierrot peintre, pantomime en 7 tableaux de Louis Morin; La divine, Aventure de Cléo de Mérode, poème belge de Steinlen et Fernand Fau; Plaisirs d'amour, étude cruelle de G. Delaw; La nuit des Temps, drame historique en 25 tableaux de Robida, enfin L'Epopée de Napoléon, grande pièce militaire en 2 actes et 40 tableaux par Caran d'Ache; il me semble que voilà une assez aimable collection. Eh! bien, j'ai gardé pour la bonne bouche les pièces dont le poème et la musique écrits par des auteurs renommés seront religieusement interprétés et fidèlement déclamés chaque soir au cours de nos pérégrinations, à savoir: Le Sphinx, poème et musique de Georges Fragerolle, dessins de Vignola; Les Clairs de Lune, poème et musique du même, dessins de H. Rivière; Le Rêve de Joël, poème et musique de Fragerolle, dessins de Métivet; La marche à l'Étoile, poème et musique de G. Fragerolle, dessins de H. Rivière; L'Honnête Gendarme, farce de Jean Richepin, dessins de L. Morin; l'Enfant prodigue, parabole en 18 tableaux de G. Fragerolle, dessins de Rivière; et Phryné et Ailleurs, deux chefs-d'œuvre de l'exquis poète Donnay, mis en ombres par H. Rivière. Bien entendu, notre spectacle de chaque soir ne comportera en outre des intermèdes abondants et variés que quatre ou cinq pièces choisies parmi le richissime répertoire que je vous viens d'énumérer.

Au verso du programme sur lequel s'étalent pompeusement ces merveilles, Salis s'est plu à rédiger, avec l'aide de quelques amis au nombre desquels je soupçonne vaguement Alphonse Allais, Gondezki, Edmond Deschaumes, et Dominique Bonnaud, des biographies fantaisistes de ses camarades de tournée.

Vous les trouverez ci-jointes et vous verrez de quelle folie verveuse elles sont empreintes; je ne crois pas que le genre de littérature qui fleurit depuis quelque temps et qu'on dénomme familièrement le genre loufoque ait jamais atteint des sommets aussi paroxystiques; mais je vous laisse juge.

D. BONNAUD

Table des matières

«Parisien, journaliste, boulevardier, spirite et officier de réserve. Collabore à presque tous les grands journaux de la Capitale. Devenu chansonnier, par la grâce de N.-S. Rodolphe Salis, gonfalonier de la Butte. Ce fut au cours d'une chasse à l'éléphant, aux environs d'Amsterdam que, sur le point d'être écrasé par un de ces redoutables pachydermes, il fit vœu, s'il en échappait, d'obéir à toutes les injonctions de son sauveur. Là-dessus, Rodolphe Salis ayant foudroyé l'éléphant furieux en lui récitant à bout portant seize vers coniques et explosifs de François Coppée, le seigneur de Chatnoirville intima à «son» sauvé l'ordre de faire des chansons, ordre qui fut exécuté.

Adoré du public parisien, Bonnaud a les fréquentations les plus éclectiques: déjeune chez le Père Didon, chez le duc de Luynes ou chez l'anarchiste Zo d'Axa, indifféremment, et dîne au hasard chez M. Méline, chez Yvette Guilbert ou chez le prince Roland Bonaparte, qu'il accompagna dans un voyage économique. Converti au bouddhisme par M. Guimet, s'est fait l'interprète des malheurs de l'Arménie, dans la pièce de vers célèbre: On vient d'empaler ma Sœur.—A publié un Traité des couleurs complémentaires, aujourd'hui en usage à l'Institution des jeunes aveugles, et ses considérations sur l'État d'âme des culs-de-jatte décorés du mérite agricole, qui resteront; a fondé la Banque des Prêts hypothécaires sur parole d'honneur, qui prospère de jour en jour.—Epoux morganatique d'une des filles du roi de Siam, lequel n'a d'ailleurs, en fait de progéniture, que des garçons.»

Jules MOY
Membre de plusieurs sociétés savantes et secrètes.

Table des matières

«A remué ciel et terre pour obtenir la croix de la Légion d'honneur, sous le prétexte fallacieux qu'un de ses oncles incarnés d'Amérique, avait donné des leçons de solfège dans un établissement de bains sulfureux. Mais il échoua piteusement, malgré son accent anglais, grâce aux intrigues du sire de Montjarret, le célèbre inventeur du vaccin électoral.

Jules Moy, résigné, demanda alors les palmes académiques, mais il ne réussit qu'à obtenir une médaille de sauvetage, en acceptant une place de nègre sous le tunnel de Batignolles-Clichy-Odéon. Après avoir fabriqué des eaux minérales naturelles, il épousa morganatiquement la concierge de la maréchale Booth, qui, de retour des Indes portugaises, avait prêché la religion salutiste dans le désert du Sahara, sur un automobile alimenté par trois veilleuses baignant dans l'huile de ricin rectifiée. Jules Moy divorça pour aller dans l'archipel des Poulocondores diriger un orphéon de poules mélomanes. Il fut ensuite successivement chef des chœurs dans une institution de sourds-muets, professeur de monocycle au lycée des culs-de-jatte de l'île de la Grande-Jatte, et répétiteur d'anglais dans le club espagnol des jeunes japonaises séduites pour l'amélioration des laitages internationaux.»

G. OBLE

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«Compositeur français, né à Poitiers. A l'âge de dix ans s'embarque comme mousse, débarque à Taïti, devient rapidement le préféré de la reine, charmée par son adorable voix; installe, grâce à un crédit illimité fourni par la cassette de Sa Majesté, un Conservatoire noir, y fait représenter les œuvres françaises. Empoisonné par un rival, les médecins européens l'envoient en Russie, il devient chef des chœurs des chevaliers-gardes. Epouse une parente du grand Khan de Badjaerah, organise des concerts à Tiflis, part pour Chandernagor, chasse le tigre pour se distraire, en tue 1,800 dans six mois. Est nommé baronnet honoraire. Revient en Europe, devient professeur de castagnettes du prince de Galles. Pris de nostalgie, débarque à Montmartre, au Chat Noir. Auteur des Museaux roses, du Cantique bleu, des Bas violets, du Corset lilas, de Tes vrais Yeux, Tes vrais Pieds, Ton vrai Billet de Chemin de Fer, Bon Dodo, etc.»

MULDER

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«Ancien officier de subsistances au Maroc, fut, en sa qualité de fils adoptif du prince de Bulgarie, nommé sous-préfet honoraire à Thure (Vienne).—Est né à Paris, de 1860 à 1863; dès l'âge de six mois, il imitait tous les instruments à vent en usage dans son pays natal, ce qui l'amenait, vers 1881, à construire un piano avec de vieilles boîtes à sardines.—Massenet, en entendant le jeune virtuose, fut tellement saisi d'admiration qu'il demanda pour lui, à M. Jules Grévy, un premier prix de trombone avec le titre de professeur de l'Elysée.—Un caprice d'artiste l'amène à Levallois-Perret, où il se révèle pisciculteur acharné en élevant des soles dans son modeste appartement pour l'aquarium de Passy. Son succès fut grand. Nommé officier d'Académie, à la suite de plusieurs aventures qu'on peut lire dans le 345e volume des œuvres de P. Delcourt, il entre au Chat Noir comme professeur de suisse de R. Salis, et est depuis peu le chef d'orchestre du célèbre théâtre.—Termine un grand opéra symphonique sur le tir concentrique des pièces de marine, qui révolutionnera la musique.»

Jules GONDOIN

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«Une mention toute particulière pour Jules Gondoin, l'un des hommes les plus curieux que ce siècle a produits. Manifesta, dès son enfance, un goût immodéré pour les biscuits de Reims et les vers de Lucain. Ecrivit à six ans, sur le vers du poète latin, Stat sonipes ac frena ferox spumantia mandit, une étude qui le fit immédiatement nommer professeur de bicyclette au glacier des Bossons (3513 mètres), Mont-Blanc. Passa de là comme inspecteur des canalisations littéraires chez M. Victorien Sardou, qui voulut, au bout de quelque temps, le faire recevoir à l'Académie française (de la Guadeloupe), où le fauteuil anthume d'Alphonse Allais se trouvait vacant. Gondoin refusa et vécut quelques années pauvre mais honnête en piquant des bottines. Gagna en découvrant, le 16 octobre 1889, la muselière qui porte son nom et grâce à laquelle les punaises sont devenues d'inoffensifs polypèdes, une juste célébrité et la fortune. Entre temps passa son bachot, sa licence ès-lettres et son agrégation. Erudit et modeste. Chansonne avec un esprit tout de finesse et d'ironique acuité. Achève une thèse sur l'Epandage des Truismes et des Lieux-communs pour la fertilisation des terrains vagues. Colonel de la Garde républicaine de 1890 à 1892 et titulaire du grade de Maréchal de camp dans l'armée régulière de la République d'Andorre. Chevalier du Bain depuis 1894. Fait comte par le Dey de Chandomayor à l'occasion de l'Exposition de 1889.»

MILO DE MEYER

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«Né à Rochefort-sur-Mer. Tout jeune, il apprit à lire dans Pierre Loti, en sculptant des coquillages où, sans cesse, il reproduisait le portrait du prince de Sagan, son parrain.—Vers 1889, ennuyé de toujours entendre parler de la Tour Eiffel, il part à pied pour le Caucase, en montrant ses collections de coquillages et en imitant Capoul. Surpris dans son harem par un émir de Tiflis, il se réfugie dans un couvent où il apprend la langue chinoise; il revient à Montmartre, suffisamment armé pour la vie et devenu, par le caprice des choses, professeur d'équitation de Mlle Reichenberg, il se convertit et devint un des lieutenants de la Maréchale Booth.—Depuis, il entre au Chat Noir, où son nom est déjà gravé sur une plaque de vieux sapin.—Il est l'auteur de Tes vrais Genoux, Ta Chambre, la Quenouille de Suresnes, la Main de Rose, le Baiser du Maire, etc.»

Gabriel MONTOYA

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Un latin qui a conquis la Gaule. Artiste et poète, ce qui ne l'empêche point d'avoir passé son doctorat en médecine et d'avoir inauguré en chirurgie le système des «opérations chantées» qui rend inutile l'emploi du chloroforme. A brisé son scalpel sur l'autel d'Erato et se console dans l'intimité du grand sensitif Alphonse Daudet, de ses espérances médicales abandonnées. Fut, tout jeune, le héros d'une aventure singulière. Enlevé par une esquimaude, d'ailleurs fort avenante et que tout Paris courait voir au Jardin d'Acclimatation, dut vivre pendant seize ans de l'existence antarctique des Samoyèdes. S'échappa du Groënland déguisé sous la peau d'un phoque et revint par eau jusqu'au Pont des Arts, où son apparition inspira au regretté Ernest Renan une de ses plus jolies phrases sur les excentricités des animaux polaires.

Cisèle en Benvenuto les strophes qu'il lance ensuite aux étoiles d'une voix exquise, troublante et qui, mieux encore que l'archet des Tziganes, sait monter l'âme des duchesses au diapason des folies. Partage, avec Paul Bourget, l'estime des milliardaires américaines qui, tous les matins, l'invitent à venir faire au Bois une heure ou deux d'hippic and esthetic flirt. Auteur du volume: Chansons naïves et perverses, qui atteint son 650e mille (Ollendorf, 3 fr. 40 franco). Parmi ses œuvres les plus applaudies: Tes Orteils, La Croupe de la reine de Thulé, Ton Haleine (chanson parfumée), Quand elle prend son tub. A fait en collaboration avec le célèbre maëstro Mülder un opéra-comique, sur lequel s'est rué M. Carvalho. Couronné par l'Académie pour ses Etudes sur la Flore d'Asnières dans ses rapports avec la Faune Kamtschadale (in-8o, Dupuy, éditeur). Possède un stock de décorations qui donna un instant des idées de suicide à M. Crojier, l'aimable directeur du protocole chat-noiresque. Au physique, 1 mètre 80, figure avenante, a gravé sur la cuisse droite le profil d'Anatole France. Végétarien comme M. Francisque Sarcey, le paveur ordinaire du rez-de-chaussée du Temps

Troyes, le 16 janvier 1897.

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A nous deux, petite cousine, et d'abord laissez-moi vous dire que si j'ai consenti à ce caprice d'écrire tous les jours à votre usage mes impressions de tournée, ce n'est point pour vous redire les mille et un détails remâchés par les guides et les Bædeker. Ne vous attendez point à de pompeuses descriptions de Cathédrales, de Théâtres et de Musées. Je ne vous servirai sur la nappe des feuilles vierges que le menu fretin des personnelles impressions et des incidents particuliers, et j'ose croire que ce sera suffisant pour le régal de votre mignonne bouche et pour la satisfaction de vos appétits distingués.

Adonc, huit heures sonnaient ce matin au cadran de la gare de l'Est, quand je fis avec mon fidèle Mülder (le compositeur que vous connaissez) mon apparition dans le grand hall de la salle de départ. Salis toujours impatient et nerveux, nous attendait escorté de æses machinistes et de nos camarades de tournée que vous me saurez gré de vous présenter au cours de ma correspondance, quand les événements m'y sauront d'eux-mêmes inciter.

—Toujours en retard, vous deux?

—En retard, fis-je, aucunement, nous avons pour le moins vingt bonnes minutes.

—C'est bon; et vos décorations?

—Nos décorations!...

—Il faut donc tout vous répéter. Vous ai-je pas dit cent fois que vous ne devez jamais quitter Paris sans une provision de rubans et de rosettes. C'est du meilleur effet dans les villes où nous passons et quand nous faisons, après le café, notre partie de billard, tous les retraités lorgnent d'un œil d'envie nos boutonnières polychromes en se disant les uns aux autres: Très-distingués, ces messieurs du Chat Noir, tous décorés...

Heureusement j'ai songé à cela comme à tout et tenez, fit-il, choisissez dans le tas. D'une poche de son pardessus, il tirait une poignée de décorations variées; Nicham-Iftikar, Christ de Portugal, Rose du Brésil, Croix d'Isabelle, Ordre de Léopold, Mérite Agricole, Palmes académiques et autres que nous passions à nos boutonnières avec un sans-gêne qui eût donné la nausée à Wilson. Un jeune machiniste, un rouquin du nom d'Allaire, qui n'a pas fait moins de six tournées, hésitait à se parer d'un des rubans négligés par les décorés hâtifs! Eh! bien, fit Salis, qu'attendez-vous? Appliquez-moi ces palmes à votre boutonnière et si vous renaclez je vous colle d'office la rosette de l'Instruction publique.

Ce mépris souverain que Salis affecte à l'endroit des hochets officiels est un des côtés les plus amusants de son attitude d'excentrique barnum. Quelque temps après le succès sans précédent de l'Epopée de Caran d'Ache et de la Marche à l'Etoile, de Rivière et Fragerolles, Salis, hautement indigné que le gouvernement de son pays ne lui décernât point la récompense que méritait à ses yeux la fondation de son Académie Montmartroise, résolut de protester à sa manière en s'octroyant tout seul à lui-même ce premier échelon dans l'ordre décoratif, le ruban d'Officier d'Académie. Le succès de la maison alla crescendo avec les œuvres successives qui eurent pour titres: La tentation de saint-Antoine, Phryné, Ailleurs, Héro et Léandre, L'enfant Prodigue, et Salis, désormais convaincu de l'ingratitude profonde de ses contemporains, se gratifia de la rosette de l'Instruction publique.

Poursuivant la logique en ses derniers retranchements il s'est accordé, l'année dernière, le ruban de la Légion d'Honneur, et cette décoration paraît si bien à sa place, sur la poitrine de ce lutteur, Carnot d'un nouveau genre qui sut organiser et définitivement installer le Rire à Montmartre, que dernièrement un fervent de la Butte soutenait avoir lu dans l'Officiel la nomination de Salis à la Légion d'Honneur.

Mais nous voilà, petite cousine, à quelques lieues de la tournée et vous m'allez accuser de vagabondage et de digression; rassurez-vous, la gare de Troyes nous ouvre ses portes et tout d'abord j'aperçois le compositeur Mülder qui, les yeux ahuris, semble chercher du regard quelque objet annoncé dont l'absence le déconcerte.

???

Et le prodigieux Hollandais de me répondre sans rire:

«Je cherche le cheval de bois.»

Un détail en passant: J'ignore si les habitants de la cité Troyenne pratiquent le tub et la baignoire à domicile; mais j'ai été stupéfié par l'invraisemblable indigence du seul et unique établissement balnéaire de cette ville qui compte, s'il vous plaît, cinquante mille habitants. La cabine où péniblement j'obtins la faveur d'un bain, veuve de toute tapisserie ou papiers peints, laissait voir à nu des briques rouges où d'abondants dépôts de salpêtre marquaient par de blanches traînées la désuétude du lieu.

Pour la baignoire, j'eus conscience, malgré l'effort louable du garçon pour la mettre en état sortable, qu'elle n'avait point servi depuis des temps immémoriaux. Ma conviction, d'ailleurs, fut absolue, lorsque m'étant insinué dans ce désastreux récipient, je constatai que le fonds mal soudé se détachait lentement sous le poids de mon individu et que le liquide s'épandait à flots pressés dans les espaces circonvoisins. En quelques secondes, je fus à sec et j'aurais pu continuer efficacement ma séance à côté de la baignoire, si, dans un mouvement d'humeur facile à comprendre, je n'eusse préféré la fuite immédiate et sans phrases.

Notre première représentation s'est écoulée sans encombre, au milieu d'un public abondant, mais froid, dont les méninges se refusaient à comprendre les paradoxes grandiloquents de Salis et les allusions, voire les plus transparentes, aux événements parisiens de ces derniers temps. C'est à croire que les Troyens actuels se désintéressent de tout ce qui est postérieur à l'époque héroïque et qu'il suffit à l'honneur de leur nom d'évoquer en nos mémoires par une fortuite similitude, le souvenir des temps glorieux où le berger Phrygien ravissait aux yeux éplorés de la Grèce:

Celle dont la beauté magique et souveraine

Évoquait le désir aux cœurs froids des vieillards...

Un incident nous a pourtant fort réjouis dans la coulisse.—Salis, dont la curiosité ne s'arrête pas seulement au chiffre de la recette (cette dernière étant le plus souvent très supérieure à la moyenne par suite de l'incomparable prestige de la raison sociale Chat Noir), Salis, dis-je, se complaît à juger sur le public la portée des œuvres que ses camarades et lui soumettent à son appréciation. L'œil collé dans l'interstice des portants ou dans les solutions de continuité que présentent les toiles peintes (ayant subi du temps l'irréparable outrage) il suit avec intérêt ces fluctuations révélatrices qui, mieux encore que le silence ou l'applaudissement, donnent la mesure du succès ou de la mésestime.—Or, cependant que les chansonniers fantaisistes Dominique Bonnaud, Gondoin et Jules Moy, par l'étourdissante variété de leurs productions et l'irrésistible drôlerie de leurs voix et de leurs mimiques forçaient le rire du glacial public Troyen, seule, une femme au visage lourd et bouffi gardait, au premier rang de l'orchestre, veuf de musiciens, une impassibilité déconcertante. En vain défilaient devant elle en un grotesque panorama, l'armée du Salut, le concert chez Fathma, les Engelures de l'Hippopotame et autres désopilantes facéties, nul éphémère sillon ne venait un instant creuser les bouffissures de sa joue, et la morne atonie de ses regards résistait aux plus héroïques efforts des humoristes. Salis qui s'attachait à la suivre des yeux, était profondément humilié, tant qu'enfin ne pouvant se résoudre à cette défaite il envoya aux renseignements. Après une pénible enquête nous fûmes tous édifiés. La spectatrice réfractaire était tout simplement une paysanne Finlandaise, parente éloignée d'un musicien de l'orchestre, que ce dernier, pour la distraire, avait accompagnée à la représentation unique des Trouvères du Chat Noir: cette fille d'humeur peu joviale se torturait vainement la cervelle pour entrevoir la cause de tous les rires déchaînés autour d'elle et ce travail sourd continuait encore à embrumer son pauvre visage abêti.

Voilà qui va démontrer à Salis la nécessité d'organiser une tournée prochaine aux pays Hyperboréens.

Mais savez-vous, cousine, ma mie, qu'il est présentement minuit et que force nous est d'attendre de pied ferme trois heures du matin pour nous diriger vers Chalon-sur-Saône.

Qu'allons-nous faire, grands Dieux, pour tuer le temps d'ici là? Si vous le voulez bien je vais clore mon écritoire et souffler du même coup ma chandelle et ma verve.

Au revoir, aimable cousine, priez les Dieux tout puissants qu'ils me donnent, pour les suivantes journées, l'énergie de vous narrer par le menu comme je viens de le faire les incidents que je souhaite variés et nombreux pour votre plaisir à les lire et pour ma joie à les conter.

Chalon-sur-Saône.

Table des matières

D'un commun accord, nous nous acheminons vers les deux ou trois établissements nocturnes que des indigènes nous signalent comme lieux de plaisir et tour à tour nous visitons les Trois Étoiles, Le Veau qui tette et La Poule qui glousse. Notre stoïcisme va jusqu'à laisser s'abattre sur nous les huis mal graissés des sus-dits beuglants, après l'audition plutôt pénible de quatre filles efflanquées et d'un comique en habit bleu, lesquels en sont réduits au répertoire antédiluvien de Libert et de Paula Brébion.

Quelques fils de famille représentant la haute vie et le Troyes des premières se distinguent par leur discrète façon de laisser choir des piles de petits sous dans les sébiles vert-de-grisées que ces dames, avec des sourires engageants, viennent secouer à portée de leurs mentons imberbes.

Nous quittons ces lieux enchanteurs et pédestrement nous nous mettons en quête de la gare problématique où nous parvenons après, Dieu sait quelles recherches laborieuses, les rues étant veuves de piétons indicateurs. Là, c'est bien d'une autre. Le train qui nous doit emporter stationne avec des airs de fourgon mortuaire sans lanternes et sans signaux sur une voie lointaine où force nous est de l'aller péniblement découvrir. L'unique wagon de secondes a été envahi par les machinistes, lesquels, sitôt après la représentation, harassés et moulus par le transport et le classement des pièces d'ombres se sont rués comme des bienheureux sur les coussins hospitaliers. Et c'est un indescriptible enchevêtrement de pieds parmi lesquels nous essayons de nous faire un passage avec des protestations d'orteils écrasés et des jurons de gens qu'on éveille mal à propos.

Puis on se calme, on se case, on finit par se tasser et le train au départ n'emporte pour Châlon-sur-Saône qu'une vaste chambrée paisible et somnolente que n'éveillent pas même les sifflements stridents des convois rencontrés en route et les sursauts des roues au croisement fortuit des aiguilles...